Cardinal Sarah

Son homélie pour la St Anne

7/28/202510 min read

"Bien chers frères de Bretagne et de la France,

Je salue avec respect les autorités civiles ici présentes à l’occasion du quatre-centième anniversaire des apparitions de sainte Anne en ces lieux. Le pape Léon XIV m’a délégué auprès de vous pour être son envoyé extraordinaire en ce sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray. Le Saint Père veut par ce geste souligner l’importance qu’il accorde à votre pèlerinage. Je vous apporte donc, à vous tous, pèlerins de sainte Anne, les salutations et la bénédiction de la part de notre pape bien-aimé Léon XIV.

Le Pape prie pour vous en ce jour. Par son envoyé, il vous témoigne de son affection paternelle. En son nom, je salue très amicalement Mgr Raymond Centène, évêque de Vannes, qui aime tant sainte Anne. Je salue les autres évêques, les pères abbés et supérieurs de communautés ici présents, les prêtres venus de Bretagne et d’ailleurs, et vous, chers pèlerins de sainte Anne, qui êtes venus en ce sanctuaire pour répondre à l’appel de sainte Anne et surtout pour adorer Dieu.

En ce lieu, il y a 400 ans, sainte Anne apparaissait à Yvon Nicolazic pour lui dire : "Yvon Nicolazic, Me zo Anna, mamm Mari ("Je suis Anne, mère de Marie", en breton, N.D.L.R.). Yvon, ne crains rien, je suis Anne, mère de Marie, dites à votre recteur, à votre prêtre, que sur la terre appelée le Bocenno – c’est-à-dire ce lieu où nous nous trouvons actuellement,– on a construit autrefois une chapelle dédiée en mon nom, c’était la première de tout le pays. Il y a 924 ans et 6 mois qu’elle est ruinée, je désire qu’elle soit rebâtie au plus tôt et que vous en preniez soin parce que Dieu veut que j’y sois honorée, Dieu veut que vous y veniez en procession".

Chers frères et sœurs, sainte Anne a dit à Yvon Nicolazic : "Dieu veut ce lieu". Dieu a choisi cette terre pour en faire un lieu saint, Dieu a voulu qu’une parcelle de votre terre, une parcelle de votre pays, la France, soit un lieu sacré, un lieu réservé. Dieu a voulu que vos ancêtres ne cultivent pas ce lieu, ne l’exploitent pas par l’élevage ou l’agriculture. Il a choisi ce lieu pour y être honoré.

Il y a là un grand mystère qu’il faut méditer. Il y avait bien d’autres églises disponibles, il y avait bien d’autres lieux possibles, mais il a choisi celui-là. Pourquoi ? D’abord pour nous dire que Dieu est premier, que la gloire de Dieu nous précède et ne nous appartient pas. Dieu nous a créés par un acte d’amour gratuit, toute la création est l’œuvre de ses mains, le cadeau gratuit de son amour. […]

Nous n’avons pas mérité son amour, il nous a aimés le premier, nous lui devons tout car c’est à lui que nous devons la vie, le mouvement et l’être. Pour nous qui sommes ses créatures et ses enfants, honorer Dieu, lui rendre gloire, c’est faire œuvre de justice. Rendre gloire à Dieu n’est pas un choix optionnel, c’est un devoir, une nécessité. Il est très important d’en reprendre conscience, surtout dans vos sociétés qui ont tendance à considérer Dieu comme mort, inutile, sans intérêt.

Trop souvent en Occident, on présente la religion comme une activité au service du bien-être de l’homme. La religion est assimilée à des actions humanitaires, à des actes de bienfaisance, d’accueil des migrants et des sans-abri abris, à la promotion de la fraternité universelle et à la paix dans le monde. La spiritualité serait une forme de développement personnel, elle serait là pour apporter un peu de soulagement à l’homme moderne tendu vers ses activités politiques et économiques habituelles. Même si ces questions sont importantes, cette vision de la religion est fausse. La religion n’est pas une question de nourriture ou d’actions humanitaires. Dans le désert, c’est la première tentation que Jésus a rejetée. Pour racheter l’humanité, il faut vaincre la misère de la faim et de la pauvreté, c’est ce que le diable propose au Seigneur. Mais Jésus répond que ce n’est pas la voie de la rédemption. Il nous fait comprendre que même si tous les hommes avaient de quoi manger à leur faim, si la prospérité s’étendait à tous, l’humanité ne serait pas rachetée.

Nous voyons comment précisément dans les pays de l’aisance, de la richesse, de l’abondance, l’homme se détruit, s’autodétruit, parce qu’il oublie Dieu et ne pense qu’à sa richesse et à son bien-être terrestre. Ce qui sauve le monde, c’est le pain de Dieu. Il fait nourrir l’homme du pain de Dieu, et le pain de Dieu, c’est le Christ lui-même. Ce qui sauvera le monde, c’est l’homme qui se tient à genoux devant Dieu pour l’adorer et le servir. Dieu n’est pas à notre service. C’est nous qui sommes à son service.

Nous avons été créés pour louer et adorer Dieu. C’est dans l’adoration de Dieu que nous découvrons notre véritable dignité, la raison ultime de notre existence. C’est à genoux devant Dieu que l’homme découvre sa véritable grandeur et sa noblesse. Et si nous n’adorons pas Dieu, nous finirons par nous adorer nous-mêmes. Dieu a choisi ce lieu pour être adoré, Dieu a choisi la France pour qu’elle soit comme une terre sainte, une terre réservée à Dieu. Ne profanez pas la France avec vos lois barbares et inhumaines qui prônent la mort alors que Dieu veut la vie. Ne profanez pas la France car c’est une terre sainte, une terre réservée à Dieu. La Bretagne est une terre sacrée et doit demeurer une terre sacrée, une terre réservée à Dieu, Dieu doit y avoir la première place.

Et notre première activité est d’adorer, de glorifier Dieu. C’est l’expression la plus haute de notre gratitude envers Dieu et la réponse la plus belle de notre vie à l’amour exceptionnel qu’il nous porte. Pour adorer Dieu, il faut se mettre à part, dans le silence. Venez ici dans le silence du cœur pour écouter Dieu. C’est ce qu’on appelle entrer dans une attitude sacrée. Il y a des lieux sacrés, des lieux réservés à Dieu, choisis par Dieu. Ces lieux ne peuvent être profanés par d’autres activités que la prière, le silence et la liturgie.

Nos églises ne sont pas des salles de spectacles, ni des salles de concert ou d’activités culturelles ou de divertissements. L’église, c’est la maison de Dieu. Elle lui est exclusivement réservée. Nous y entrons avec respect et vénération, correctement habillés parce que nous tremblons devant la grandeur de Dieu. Nous ne tremblons pas de peur mais de respect, de stupeur et d’admiration.

Je veux redire merci aux Bretons et aux Bretonnes qui savent porter les plus beaux vêtements traditionnels pour rendre gloire à la majesté divine. Il ne s’agit pas ici de folklore. L’effort extérieur que vous faites pour vous habiller n’est que le signe de l’effort intérieur que vous faites pour vous présenter à Dieu avec une âme pure, lavée par le sacrement, ornée par la prière et l’esprit d’adoration. Les lieux sacrés ne nous appartiennent pas, ils sont à Dieu. La liturgie a pour objectif la gloire de Dieu et la sanctification des fidèles et la musique sacrée est un moyen privilégié pour faciliter une part active et pleinement consciente des fidèles à la célébration sacrée des mystères chrétiens. […]

Lors des apparitions, sainte Anne demande à Yvon Nicolazic que l’ancienne église soit rebâtie et qu’on en prenne soin. C’est difficile, c’est coûteux, c’est exigeant, et pourtant, c’est l’image de ce que Dieu veut aujourd’hui. Dieu veut encore aujourd’hui que nous rebâtissions sa maison. Dieu vient nous dire aujourd’hui, à chacun d’entre nous : "j’ai choisi ton âme, j’ai choisi ton cœur comme une terre sacrée pour y être adoré". Ton âme de baptisé est un lieu sacré, ne le profane pas en le livrant aux passions désordonnées et à l’esprit du monde, ne le profane pas en volant à Dieu la première place. Si l’église de ton âme est ruinée alors entends l’appel de Dieu. Il est temps de la rebâtir et de la rebâtir sur le roc, la fondation solide sur laquelle nous devons bâtir notre vie et notre espérance.

Oui il est temps de rebâtir l’église de notre âme, il est temps de te confesser, confesse les péchés que tu as commis en parole ou en action, la nuit ou le jour, confesse-toi en ce temps favorable et au jour du salut reçois le trésor céleste. "Surtout veille sur ton âme", nous dit saint Cyrille de Jérusalem. Il est temps d’en prendre soin en gardant chaque jour un vrai temps de prière intense silencieuse, il est temps d’expulser les idoles de l’argent, des écrans, de la séduction facile et vulgaire. Dieu veut ton cœur, Dieu veut ton âme comme il a voulu cette terre de Bretagne.

Ton âme est un lieu sacré, prends-en soin. C’est là seulement en ce sanctuaire sacré de ton âme que Dieu pourra te parler, te consoler, te faire revenir à lui par une conversion radicale. C’est seulement dans ce sanctuaire intérieur que tu pourras entendre son appel à être saint, à être un adorateur. "Soyez saint car moi le Seigneur votre Dieu je suis saint". C’est en ce lieu intérieur et sacré que toi, jeune homme, tu pourras entendre son appel à être prêtre ou religieux. Que toi, jeune fille, tu pourras entendre son appel à te livrer à lui dans la vie religieuse en lui consacrant ton corps, ton cœur et toutes tes capacités d’aimer. Si tu profanes ce lieu intérieur de ton âme par une vie dominée par le péché et les divertissements du monde, tu risques de passer à côté de ta vie, tu risques de ne jamais vraiment être toi-même.

Mes frères et sœurs bien-aimés, ne volons pas à Dieu le sanctuaire sacré de notre âme. Dieu l’a créé, Dieu l’a racheté, ne profanons pas notre corps. Notre corps est le Temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en nous. Ne détruisons pas ce Temple car le Temple de Dieu est sacré et ce Temple c’est nous. Dieu nous l’a confié pour que nous en prenions soin et pour que nous puissions l’adorer dans le silence. Dieu le veut, Dieu te veut.

Chers frères et sœurs, Dieu a choisi ce morceau de terre de Bretagne avec une intention toute spéciale, il a voulu y être honoré à travers le culte rendu à sainte Anne. Il n’y a aucun autre lieu au monde où sainte Anne soit apparue. Quel privilège ! quelle grâce ! quel mystère ! Sainte Anne porte en ce lieu un message particulier, elle qui avec Joachim n’avait pas d’enfant à cause de son âge avancé. Son cœur devait être plein de peine et d’inquiétude. Quelle souffrance pour le cœur d’une femme qui aspire à devenir mère et qui voit son attente se prolonger.

Combien sainte Anne a dû s’interroger : est-ce de ma faute ? pourquoi une telle épreuve ? Certainement parmi vous il y a des hommes et des femmes qui souffrent de ne pas avoir d’enfant. Certainement parmi vous il y a des parents dont le cœur, comme celui de sainte Anne, est envahi par la souffrance, l’angoisse et l’inquiétude pour des enfants malades, qui ont abandonné la foi et qui semblent s’éloigner de Dieu, ou encore pour leur famille, ou pour leur patrie qui semble en danger.

Nos épreuves et nos souffrances nous mettent parfois dans un état de profonde incompréhension. Pourquoi la mort d’un enfant ? pourquoi la souffrance des innocents ? pourquoi la guerre ? pourquoi la trahison ? pourquoi Seigneur ? Nous nous sentons parfois abandonnés par lui. Apparemment Dieu n’est plus là, et pour l’Europe, Dieu est mort. Faut-il se révolter ? Faut-il croire que Dieu nous est devenu indifférent ? Faut-il abandonner la pratique religieuse parce qu’il n’écoute pas mes prières ? Faut-il cesser de prier et d’aller à la messe dominicale ? Regardons sainte Anne et écoutons sa voix. Que fait-elle ? Entre-t-elle dans la révolte contre Dieu ? Se détourne-t-elle de Dieu ? Non, elle demeure dans l’adoration. Dieu est plus grand que nos incompréhensions, que nos doutes. Dieu est plus grand que notre cœur. Face au mal, nous n’avons pas de réponses toutes faites, nous n’avons pas de réponses humaines. Face au mal, nous n’avons qu’une seule réponse : l’adoration. Notre seule réponse face au mystère du mal est l’adoration silencieuse. Oui le mal est incompréhensible mais nous savons par la foi que la confiance adorante en Dieu est plus forte que l’absurdité du mal.

Sainte Anne est venue dire ici aux Bretons et à toute la France, et à travers eux aux hommes de tous les pays et de tous les lieux, que l’adoration est l’unique remède au désespoir. La foi en Dieu et l’adoration de Dieu sont les uniques remèdes qui peuvent garantir aux hommes une paix solide et durable. […]

Vous tous qui souffrez je m’adresse à vous, regardez sainte Anne, vous tous qui désespérez pour vos enfants, vos parents, votre patrie, regardez sainte Anne. Comme elle, persévérons dans l’adoration. L’adoration de Dieu ne nous décevra jamais. L’adoration patiente et silencieuse de sainte Anne a permis que naisse Marie, la mère du Sauveur, la plus belle, la plus pure, la plus sainte de toutes les créatures. Vous tous dont le cœur porte souffrance et peine, votre adoration portera du fruit en espérance. L’adoration persévérante et acharnée déchire les ténèbres et apporte la lumière de l’espérance. […]

Quand tout parfois semble sombre, nous pouvons toujours dire, avec notre pape bien-aimé Léon XIV, que le mal ne l’emportera pas, le mal ne prévaudra pas. Dieu, notre Dieu, est infiniment bon, infiniment beau, infiniment grand. Aujourd’hui, avec sainte Anne, en ce lieu béni et choisi par Dieu, que s’élève en chacun de nos cœurs ce cri d’amour : "Venez, adorons le Seigneur, venez, adorons-le, prosternons-nous devant lui, plions nos genoux devant l’Éternel notre Créateur car il est notre Dieu. Amen"."